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lundi 15 juillet 2013

Ubu percepteur

…il paraît qu'on va doubler les impôts et que le Père Ubu viendra les ramasser lui-même.
Tous :
—Grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ? le Père Ubu est un affreux sagouin et sa famille est, dit-on, abominable.
Un Paysan :
—Mais, écoutez : ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte ?
Une voix (au dehors) :
—Cornegidouille ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saint Pierre et saint Nicolas ! Ouvrez, sabre à finances, corne finances, je viens chercher les impôts ! (La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d'une légion de Grippe-Sous.)
Père Ubu :
—Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance.) Comment te nommes-tu ?
Le Paysan :
—Stanislas Leczinski.
Père Ubu :
—Eh bien, cornegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles. Mais, vas-tu m'écouter enfin ?
Stanislas :
—Mais Votre Excellence n'a encore rien dit.
Père Ubu :
—Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que ji vienne ici pour prêcher dans le désert ?
Stanislas :
—Loin de moi cette pensée.
Père Ubu :
—Je viens donc te dire, t'ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré. Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici le voiturin à phynances. (On apporte le voiturin.)

Stanislas :
—Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deux rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt six semaines à la Saint Mathieu.
Père Ubu :
—C'est fort possible, mais j'ai changé le gouvernement et j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement. Avec ce système j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai.
Paysans :
—Monsieur Ubu, de grâce, ayez pitié de nous. Nous sommes de pauvres citoyens.
Père Ubu :
—Je m'en fiche. Payez.
Paysans :
—Nous ne pouvons, nous avons payé.
Père Ubu 
—Payez ! Ou je vous mets dans ma poche avec supplice et décollation du cou et de la tête ! Cornegidouille, je suis le roi peut-être !
Tous :
—Ah, c'est ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de Dieu roi de Pologne et de Lithuanie !
Père Ubu :
—En avant, messieurs des Finances, faites votre devoir. (Une lutte s'engage, la maison est détruite et le vieux Stanislas s'enfuit seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser la finance.)
Alfred Jarry, "Ubu roi", III, 3-4

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