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mercredi 3 février 2021

La vie tragique de Pauline Dubuisson

 J'ai vu ce 1er février 2021 avec émotion sur France 2 "La petite femelle", excellent (quoique bien décaféiné) biopic (disponible en "replay" jusqu'au 8 courant, et 3e audience TV du 1er) de la trop fameuse criminelle Pauline Dubuisson. Voici ce que j'écrivais d'elle dans mon "Dictionnaire des emmerdeuses" (Grancher éd., 2012 – 5,98 € @ amazon.fr) : 

J'AURAIS du mal à expliquer pourquoi le sort de cette femme "m'arrache l'âme" : elle fait tout pour se rendre odieuse. Née en 1927 dans une famille protestante, son père est un honorable entrepreneur de travaux publics. A 13 ans, elle se prostitue pour le plaisir, et auprès de la soldatesque allemande qui occupe son pays. Surprise au "travail" dans un jardin public par deux agents de police effarés, elle se vante aussitôt d'en être à la 4e passe de la journée !

En 1944, elle est aide-soignante à l'hôpital allemand de Dunkerque. Elle a 17 ans. Grande, belle, pâle et le front haut sous une crinière d'un roux sombre. Son amant est le médecin-chef, lieutenant-colonel Dominck, 55 ans. Son amant-chef, du moins : sa collaboration horizontale s'étend à tout officier nazi qui la sollicite poliment. Elle est tondue à la Libération. Elle va se faire oublier à Lyon, où elle entreprend des études de médecine. Elle les poursuit à Lille, où elle s'assure la bienveillance des mandarins par les moyens habituels ; non sans mettre le grappin sur un condisciple, Félix Bailly. C'est un naïf jeune homme de bonne famille. Il aime Pauline — "C'est bien ce que je lui reproche", ricane-t-elle — et veut l'épouser. Elle va le bafouer et le torturer jusqu'à la folie, deux années durant. Ce n'est qu'un pantin dans les griffes de cette femme à peine majeure qui possède pourtant "une expérience quasi scientifique de l'amour et de sa toute-puissance", écrira-t-on plus tard. Il va pourtant s'arracher à son emprise, et c'est le mobile du crime. Elle le menace de se suicider. Il lui arrache une fiole de cyanure. Dix-huit mois après la rupture, tandis qu'elle a épongé une kyrielle d'amants, toujours fortunés, dont l'un n'a pas moins de 68 ans, visité à Ulm le lt-colonel Dominck, 60 ans alors, elle apprend que Félix est fiancé à une bonne jeune fille, et s'arme d'un pistolet. Elle retrouve sa trace à Paris et débarque chez lui le 17 mars 1951. Presque aussitôt elle dégaine et tire. Une balle en plein front, une dans la poitrine, la dernière (arme enrayée) derrière l'oreille, "un geste de tueur" au sang froid, fera-t-on remarquer au procès. C'est aussi le coup de grâce pour Dubuisson père, qui se suicide au gaz, à Malo-les-Bains (Nord), dès le lendemain, quand il apprend le crime par les journaux.

Pauline se taillade les veines dans sa cellule de la Petite Roquette, la veille de son procès. Elle écrit à son juge, dans le noir, une lettre éclaboussée de sang : "(…) Je ne refuse pas d'être jugée, mais je refuse d'être donnée en spectacle à cette foule qui me rappelle très exactement les foules de la Révolution." Et de la Libération, non ? Cette remarque ne lui assure pas  l'indulgence de la tricoteuse stalinienne Madeleine Jacob, qui la piétine dans "Libération", quotidien alors entretenu discrètement par le PCF, en attendant Edouard de Rothschild. On la sauve, et elle doit bien paraître devant la meute, 50 photographes qui la fusillent de flashes jusqu'à ce que quelqu'un hurle dans le prétoire : "Assez ! Assez !"

Déclarée coupable de meurtre avec préméditation, Pauline Dubuisson est condamnée aux travaux forcés à "perpétuité". Cette notion demande déjà d'ironiques guillemets : elle sort 6 ans après, en 1959. Henri-Georges Clouzot filme alors "La Vérité", version assez complaisante de ses aventures, brillamment interprétées par Brigitte Bardot. Pauline se fait appeler Andrée et reprend ses études de médecine. En 1962, elle est interne à l'hôpital d'Essaouira (Mogador), au Maroc (photo ci-contre). Elle travaille dur, elle travaille bien. Un ingénieur pétrolier qu'elle a rendu heureux lui parle de mariage. Elle lui confesse alors son passé. "Epouser Pauline Dubuisson ?! C'est vrai, j'ai hésité…" sanglotera le jeune homme quand elle se sera tuée, seule dans sa chambre, seule dans son orgueil indomptable.

© Patrick Gofman





2 commentaires:

  1. Impressionnant, c'est à croire que certains naissent mauvais comme on nait homme ou femme. J'ai pourtant lu le livre mais j'ai dû oublier ce passage.

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