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vendredi 18 février 2011

Libraire sauvage à Pontault-Combault (77)




Ce que Jean Dutourd ne verra pas

Ah la la ! depuis le temps qu’on nous le prédisait, c’est enfin arrivé : le livre est mort !
Il ne reste plus qu’à liquider nos stocks, les industriels chinois sont actuellement friands de papier à recycler, paraît-il.

C’est certes regrettable (la mort du livre, pas l’appétit papivore des Chinois qui viennent en plus d’acheter le Pirée, Porto et la tour Eiffel), mais après tout, ne plus voir les étalages encombrés de certaines productions, dont le contenu rejoint la médiocrité et la hideur de la couverture, n’est pas un drame. Ce qui compte, c’est l’écrit, n’est-il point ?





Ce qui frappe quand on parcourt les rayons de librairies ou de supermarchés qui vendent aussi des livres, c’est la laideur de ces objets. Pauvres crottes de l’esprit pondues hâtivement et façonnées à la va-vite sur des machines monstrueuses, vaguement collées dans un carton aux couleurs criardes ou d’un bon goût louisphilippard.

Ce ne sont que gribouillis style graffitis (oh, pardon, art de la rue !) ou marquises XVIIIe recyclées des couvertures d’Historia des années 60, fourbues d’être ainsi mises d’année en année au service du dernier plumitif qui a ses entrées à la télé, sans oublier les photos 1900 pour promouvoir la définitive biographie d’un ennuyeux barbichu forcément précurseur et défenseur des bassets rhumatisants ou de la chandelle électrique.

En dehors de quelques éditeurs soucieux de l’aspect de leurs productions et qui ont trouvé de ce fait un marché de niche, la laideur du livre est la règle absolue.

Je regarde les titres que le collège impose à mes fils. Quelques bons classiques, certes,mais si mal emballés ! De la retape. Quelle envie d’ouvrir ces opuscules aseptisés en tout point semblables à ces immondices nippones qu’on lit en commençant par la fin ?Comment respecter ce qui est si moche à voir ? Comment faire sienne la beauté de textes si laidement enrobés ? Comment les aimer ? Oui, bien sûr, nous avons tous le souvenir des Fleurs du Mal, de La Peau de chagrin ou des Illuminations lus dans un vieux poche un peu crasseux acheté chez un bouquiniste idem (je me souviens à 17 ans du Voyage au bout de la Nuit, âprement négocié 1 franc à
une cloche du quai de la Fosse). Parfois, on l’a même gardé, ce vieux poche miteux, cet exemplaire en loques, cette Bibliothèque verte dégondée. En souvenir évidemment, même si l’on s’est depuis offert des éditions originales ou de beaux illustrés. Celles par qui on est un peu devenu ce qu’on est.
J’ai toujours eu pour les livres le même respect que pour le pain, même le pire moisi croûton nourrira un moineau inconnu (à cinquante piges je peux me permettre d'écrire une phrase sérieuse, quand même).

Si la nouvelle mode des tablettes, des aïe-boucs et autres haïs-machins incite les éditeurs à ne plus jeter que sur ce genre de supports les milliers de titres médiocres ou carrément nuls qu’ils infligent au public au hasard (en se disant qu’il y en aura peut-être un qui marchera), après tout...

Reste à se promener avec son engin, la batterie, le fil de la batterie, en espérant une prise électrique à proximité. Pour le camping en Aubrac, évitez Tolstoï ou emmenez une gégène.

N’empêche que le vieux poche, l’édition miteuse des années trente, ils sont là, le grand papier aussi, le bel illustré aussi, et aussi la reliure parfois centenaire dont le chagrin ciré brille doucement en appelant votre caresse.

Vous vous voyez caresser une tablette ?


Marc Vidal


Librairie Les Oies Sauvages
BP 16
77343 Pontault-Combault cedex
Tél + fax : 01 60 34 72 67 
oies.sauvages@orange.fr

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