IL ÉTAIT UNE FOIS, dans la pluvieuse Seattle (Etat de
Washington, côte Nord-Ouest des Etats-Unis), une vilaine fille, Frances “The Bad Girl of West Seattle” Farmer,
née en 1913, et qui se proclamait athée, à 18 ans, dans l’Amérique bigote des
années 30 ! Gagnant ainsi un concours de littérature !
Imaginez le nombre d’amis qu’elle a déjà lorsque,
quelques années plus tard, en 1935, étudiante en art dramatique, elle remporte
un autre concours et gagne un voyage en Russie communiste, ce qui lui vaut automatiquement
le grief de bolchévisme… Au retour, elle s’arrête à New York. Quelques semaines
plus tard, elle signe pour sept ans avec les studios Paramount et refait sa
valise ; pour la Californie ; Hollywood. “La vilaine fille” a 22 ans.
Et c’est une radieuse beauté :
Elle remplit d’abord de
son mieux son contrat avec “l’usine à rêves”, posant pour des publicités ineptes, épousant un cowboy de cinéma, et
surveillant étroitement son poids de corps. Là sans doute est l’égratignure où
va s’installer la gangrène. Car les médecins d’avant-guerre distribuent les
amphétamines comme des bonbons aux femmes qui veulent maigrir ; sans se
soucier des effets secondaires, qui peuvent, selon les individus, s’avérer
de graves troubles du comportement, comme ceux, précisément, que va connaître
la belle Frances, avec la catalyse de l’alcool et du chagrin…
Mais d’abord elle triomphe à l’écran. Avec la “super-star” Bing Crosby. Puis sous la
direction de Howard Hawks, qui en dit :
« C’est la plus grande actrice avec laquelle j’aie jamais
travaillé. » Elle commence alors à ruer dans les brancards, snobant
les mondanités de Hollywood et négligeant son rôle de “glamour girl”. En 1937, elle tient à faire ses preuves sur scène.
Elle joue “Golden Boy” à Broadway (New York), noue une liaison passionnée avec
l’auteur de la pièce, qui n’est pas moins marié qu’elle et qui rompt. La voici
de retour en Californie avec un cœur brisé et des rôles contractuels peu
valorisants.
En 1942, les choses tournent vraiment mal. Frances est
en instance de divorce, enfoncée dans les amphétamines et la saoulographie,
autre sport très répandu à l’époque. Mais il lui réussit moins qu’à d’autres.
Son humeur se dégrade. Le 19 octobre 1942, elle conduit pleins phares dans une
zone où l’Amérique redoute un débarquement japonais (Spielberg l’a montré dans
un film tordant, “1942”, assez mal reçu dans son pays). Elle se prend de bec
avec le motard de police qui lui fait des observations. Arrestation, amende,
prison avec sursis. Trois mois plus tard, elle frappe une coiffeuse des
studios. Arrestation mouvementée à son hôtel. Au flic qui ose lui demander sa
profession, elle répond : « Cocksucker. »
Un juge l’envoie dans un sanatorium pour acteurs en souffrance.
La mère divorcée de Frances vient la chercher et
obtient sa garde. A Seattle, les deux femmes finissent par en venir aux mains,
et l’actrice atterrit au Western State
Hospital. Elle y moisit jusqu’en 1950 ! La légende veut qu’elle y
connaisse un véritable martyre : supplice de la baignoire glacée, viols
répétés, promiscuité avec des criminels, nourriture jetée en vrac sur le sol
malpropre d’une cellule collective, lobotomie qui en fait un légume. Le
personnel de cet hôpital certainement mal tenu nie. Le biographe William Arnold
pousse les choses au noir, mais il est suspect de militer contre la psychiatrie
officielle avec la Scientologie. Une autre biographe, Jean Ratcliffe, avoue
avoir exagéré… Le film “Frances” (1982) en rajoute… Ce qui est hors de doute,
c’est que la douche glacée, les chocs électriques et insuliniques sont
pratiques courantes à l’époque.
Libérée le 23 mars 1950, l’actrice brisée devient
d’abord blanchisseuse à Seattle, puis secrétaire d’un photographe d’Eureka
(Californie) et ensuite dans un hôtel de San Francisco. Elle se remarie
brièvement en 1954 puis 1958.
C’est alors que les télévisions nationales l’invitent
pour l’asticoter au sujet de son alcoolisme et de ses problèmes de
comportement. C’est peut-être ce qui lui inspire l’idée de devenir animatrice
du petit écran. “Frances Farmer Presents”
fait les beaux jours (six fois par semaine) des cinéphiles d’Indianapolis de
1958 à 1964.
L’athée provocante de 1931 a fini ses jours dans la
religion catholique. Mais elle n’a jamais renoncé à la vodka, à la bière ni aux
cigarettes Kent, et elle meurt d’un cancer de l’œsophage en 1970. Elle a 56
ans. Sa beauté, son caractère, son talent, ses souffrances ne peuvent être
oubliés. Son poème “The Journey” demeure.
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